La loi de Finances pour 2019 a créé une nouvelle procédure d’abus de droit fiscal qui vise à sanctionner les opérations poursuivant un but « principalement fiscal ». Cette notion extensive de l’abus de droit a suscité des craintes pour la validité des donations avec réserve d’usufruit jusqu’à ce que Bercy apporte une réponse rassurante.
La loi de Finances pour 2019 a semé le trouble dans la gestion de patrimoine. Elle a enrichi l’arsenal répressif à la disposition de l’administration d’un nouvel outil : un « mini » abus de droit, dont le nom est trompeur…
Le but principalement fiscal
L’actuelle procédure de répression des abus de droit sanctionne les opérations qui ont un but « exclusivement » fiscal. Elle est assortie de sanctions spécifiques de 40 % et 80 % du montant de l’impôt exigible. A partir de 2021, l’administration fiscale pourra remettre en cause des actes passés à compter de 2020 dès lors qu’ils poursuivent un but « principalement » fiscal.
Cette évolution ouvre un champ qui inquiète les professionnels. Est-ce que cela signifie que les opérations de défiscalisation pourront être remises en cause sur ce terrain au seul motif qu’elles conduisent à une réduction d’impôt ? Est-ce qu’à l’avenir il faudra privilégier, entre deux opérations qui produisent les mêmes effets, la plus onéreuse fiscalement ?
Cette procédure a été parfois été évoquée comme étant un « mini-abus de droit fiscal » car elle ne prévoit pas de pénalités spécifiques, contrairement à la procédure existante de droit commun, qui est assortie de majorations spécifiques de 40 ou 80%. En réalité, l’administration fiscale pourra, comme dans le cadre de n’importe quelle procédure, appliquer les majorations de l’impôt exigible de droit commun, de 40 % pour manquement délibéré, 80 % en cas de manœuvres frauduleuses.
L’interprétation de l’administration
L’appréciation d’un objectif principalement fiscal dépend en grande partie de l’interprétation que fera l’administration fiscale de l’opération. Cet argument avait eu raison d’une précédente tentative de réforme. En effet, la loi de Finances pour 2014 avait défini l’abus de droit comme l’acte ayant pour motif « principal » celui d’éluder ou d’atténuer l’impôt. Saisi de la contitutionnalité de cette mesure, le Conseil constitutionnel l’avait invalidée au motif qu’elle avait pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale. Les Sages n’ont pas été saisis de la constitutionnalité du nouvel l’abus de droit instauré la loi de Finances pour 2019 sur ce point.
Les donations avec réserve d’usufruit en question
Dans ce contexte, des inquiétudes se sont portées sur la validité des donations avec réserve d’usufruit au regard de la nouvelle définition de l’abus de droit, en raison des effets fiscaux qu’elles produisent.Très pratiquées dans une optique de transmission patrimoniale, les donations avec réserve d’usufruit consistent à transmettre la nue-propriété d’un bien. Le donateur, souvent un parent, fait une donation d’un bien tout en s’en réservant l’usufruit, c’est-à-dire l’usage. En vertu de ce droit, il peut occuper un bien immobilier, le louer, ou encore percevoir les intérêts d’un portefeuille de valeurs mobilières. De son côté, le donataire, nu-propriétaire, reçoit un droit futur à la pleine propriété du bien. En effet, au décès de l’usufruitier, il récupèrera automatiquement la pleine propriété, sans formalités.
Fiscalement, la donation avec réserve d’usufruit permet de transmettre un bien dans des conditions fiscales optimales. En effet, comme la donation ne porte que sur la nue-propriété du bien – qui confère civilement des droits moins étendus sur le bien que la pleine propriété -, les droits de donation sont moins élevés que s’ils avaient été calculés sur la pleine propriété.
La valeur de la nue-propriété dépend du nombre d’années restant à courir avant la reconstitution de la pleine propriété. Autrement dit, elle dépend de l’âge de l’usufruitier donateur. Pour le déterminer il convient de se référer au barème légal qui figure à l’article 669 du CGI. Selon ce barème, si l’usufruitier a entre 50 et 60 ans, la valeur de la nue-propriété correspond à 60 % de la valeur du bien en pleine propriété. Entre 60 et 70 ans, la nue-propriété en vaut 50 %, etc…
Des arguments en défense
Les professionnels de la gestion de patrimoine se sont massivement mobilisés pour défendre les donations de nue-propriété classiques face au risque d’abus de droit fiscal.
Les arguments ne manquent pas pour démontrer que le gain fiscal n’est pas le facteur déterminant de l’opération. Tout d’abord, de telles donations permettent d’éviter les risques d’une transmission indivise. Ensuite, elles permettent aux parents donateurs d’entamer la transmission de leur patrimoine tout en n’étant pas dépossédés de leur vivant. Ils peuvent jouir du bien, en percevoir les revenus et l’administrer.
Bercy rassure
Invité à se prononcer sur ce point, Gérald Darmanin, ministère de l’Action et des Comptes publics, a répondu aux craintes exprimées dans la presse.
Le 19 janvier, Bercy a précisé que« la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives.En effet, la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu’elles permettent de bien préparer les successions, notamment d’entreprises, et qu’elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle. L’inquiétude exprimée n’a donc pas lieu d’être ».
Bercy a également été sollicité par le sénateur Claude Malhuret, qui a adressé une question au ministre du budget, dans une question écrite au Gouvernement. « Quand et comment pourra-t-on savoir qu’un acte est « principalement » motivé par des considérations fiscales ? » De même, il l’interroge sur la régularité d’une opération d’apport de la nue-propriété à une société civile constituée par le donateur suivie de la donation de la pleine propriété des parts à ses enfants.« Ces précisions sont indispensables pour permettre aux conseillers patrimoniaux de rassurer leurs clients sur des opérations classiques qui ne peuvent certainement pas être considérées comme des schémas d’optimisation fiscale ».