Il est possible de remettre en cause la règle de la réserve héréditaire dans le cas d’une succession opérée à l’étranger.
Il est possible de s’affranchir des règles du droit français des successions qui protège le conjoint et les descendants directs via le mécanisme de la réserve héréditaire.
A l’origine de cette prise de position très remarquée de la Cour de cassation, deux affaires opposant les héritiers de deux célèbres compositeurs de nationalité française installés aux Etats-Unis et y ayant chacun construit une famille recomposée (Cass. civ. 1ère du 27 septembre 2017, n° 16-13.151 et n° 16-17198).
Le mécanisme de la réserve héréditaire
Si chacun peut librement disposer de son patrimoine que ce soit sous forme de donation ou par voie successorale, ce principe doit s’exercer dans une limite : la réserve héréditaire qui bénéficie principalement aux descendants de l’intéressé.
Le Code civil fixe des règles impératives protégeant les héritiers réservataires. L’article 913 du Code civil précise ainsi que « les libéralités, ou par acte entre vifs ou par testament, ne peuvent excéder la moitié des biens du disposant s’il ne laisse à son décès qu’un enfant, le tiers s’il laisse deux enfants, le quart s’il en laisse trois ou un plus grand nombre ». Il est cependant toujours possible de disposer librement de la partie de son patrimoine excédant la réserve héréditaire : c’est la quotité disponible.
Lorsque, le montant donné ou légué dépasse le montant de la quotité disponible, la libéralité (donation ou legs) doit être réduite au bénéfice de la réserve héréditaire au moment de l’ouverture de la succession.
Des family trusts bénéficiant à des héritiers aux Etats-Unis
Les deux musiciens, l’un parti en Californie au début des années 50, l’autre dans les années 70, ont utilisé la même technique successorale pour gratifier leurs dernières épouses respectives et les enfants qu’ils ont eus avec elles, désavantageant par là-même leurs enfants nés de leurs précédentes unions.
Ils ont chacun créé un family trust de droit californien auquel a été transféré tous leurs biens, y compris des immeubles parisiens détenus via des SCI de droit français. Les épouses sont les bénéficiaires exclusives de ces trusts. Un testament leur attribue la totalité des biens mobiliers dont les droits afférents aux compositions musicales.
Quels droits pour les héritiers français ?
Les enfants français des précédentes unions des deux compositeurs ont tenté de faire valoir leurs droits sur l’héritage de leur père devant le juge français. Ils ont notamment demandé que soit appliquée la loi du 14 juillet 1819 qui a pour objectif de protéger les héritiers français des effets d’une loi successorale étrangère qui les discriminerait, en l’espèce la loi californienne qui méconnait la réserve héréditaire.
Ce texte leur permettait en théorie d’opérer un prélèvement sur les redevances versées par la SACEM et sur les parts détenues dans une SCI. Le Conseil constitutionnel, saisi qu’une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre de ce conflit, a conclu en 2011 que cette loi méconnaissait le principe d’égalité et l’a abrogée. Les héritiers n’avaient donc plus la possibilité de s’en prévaloir, quelque soit la date du décès de leur père.
Quel avenir pour la réserve héréditaire ?
Pour les héritiers français, la réserve héréditaire, ayant pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, constitue un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international. Une loi étrangère ne peut y contrevenir.
Pour la Cour de cassation, une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français. Cette loi ne peut être écartée si et seulement si son application concrète conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels. En l’espèce, les héritiers français, tous majeurs, ne se trouvent pas dans une situation de précarité économique, qui justifierait d’écarter l’application de la loi californienne.