L’exposition in utero aux perturbateurs endocriniens influence-t-elle le neurodéveloppement et l’émergence de troubles psychiatriques ? L’exemple du distilbène relance la question.
Premier perturbateur endocrinien identifié comme tel : le Diéthylstibestrol (DES), une hormone de synthèse commercialisée en France de 1948 à 1977, date à laquelle sa prescription est contre-indiquée pour les femmes enceintes.
Prescrit pour le traitement des grossesses à risque et pour éliminer les risques de fausse couche, il a eu des effets tératogènes sur les quelques 160.000 enfants issus de ces grossesses (la seconde génération DES). Il s’agit notamment de cancers du vagin, de malformation de l’appareil utéro-génitale pour les filles et de kystes au niveau de l’épididyme, d’hypospadias ou d’anomalies des testicules pour les garçons.
Pour la troisième génération DES, un certain nombre de risques accrus de malformations ont été identifiées atrésie de l’œsophage pour les deux sexes et cryptorchidies et hypospadias pour les garçons.
Des difficultés psychologiques accrues
En 1983, les travaux de Vessey et al. montrent de façon inattendue que les filles de la deuxième génération DES ont deux fois plus de risques de dépression et d’anxiété que les femmes non exposées au DES. En 1986, il est également observé qu’elles connaissent plus d’épisodes dépressifs ainsi que de difficultés psychologiques que la population non exposée. Les chercheurs observent en outre un risque plus important d’anorexie.
En 2017, une étude réalisée sur trois générations met en évidence qu’une fille Distilbène sur quatre a déjà consulté un professionnel de la santé mentale, un chiffre significativement plus élevé que dans la population générale. La tendance est cependant à imputer ces difficultés psychiques observées sur le compte des difficultés gynécologiques et obstétricales rencontrées par les filles DES.
La cohorte HHORAGES
Au début des années 2000, l’association HHORAGES-France (Halte aux HORmones Artificielles pour les GrossessES) se mobilise pour faire connaître les troubles psychiques qu’ils recensent dans leurs familles adhérentes. Il s’agit notamment de dépression, de troubles alimentaires, d’addictions, de troubles bipolaires, et schizophrénie. L’association souligne également les nombreux cas de trouble du comportement ainsi que de nombreux suicide, intervenus dans la population des garçons DES.
Une perturbation du neurodéveloppement ?
En 1987, une première publication de Katz et al. s’interroge sur une relation causale entre des troubles psychotiques observés chez quatre garçons exposés au DES in utero et une éventuelle perturbation du neurodéveloppement générée par le DES. En 2017, une équipe de recherche de l’Université Paris Descartes, de l’Inserm et du Centre Hospitalier Sainte-Anne, sous la direction du Professeur Marie-Odile Krebs, a mis en évidence que des patients souffrant de troubles psychotiques et exposés in utero au Distilbène présentaient des altérations épigénétiques spécifiques. Ces altérations correspondent à des régions génomiques comprenant notamment le gène ZFP57, lui-même impliqué dans le neurodéveloppement.
Grâce à ce nouveau travail, les chercheurs posent la question, plus générale, de l’influence de l’exposition in utero aux perturbateurs endocriniens sur le neurodéveloppement et l’émergence de maladies psychiatriques.